Charles de Montalembert "La liberté, rien que la liberté et la lutte rendue possible par la liberté" (1852)
"La liberté telle que l’ont proclamée, recherchée, conquises ou rêvée les grands coeurs et les grandes nations de tous les temps, dans l’antiquité romaine comme depuis la rédemption, qui ne peut coexister qu’avec elle, mais dont la disparition fait trop souvent dégénérer l’autorité en despotisme.
Encore une fois, je n’entend professer ici aucune théorie absolue, universelle, exclusivement applicable à tous les siècles et à tous les peuples. Je prétends seulement que, chez la plupart des peuples chrétiens, et dans l’état actuel du monde, la liberté est un bien, un bien relatif, non absolu. Sauf en ce qui touche aux lois directement établies et révélées par Dieu, je tiens que l’absolu est en tout l’ennemi de la vérité, telle qu’elle s’adapte à l’infirmité humaine [...] Je sais que j’ai contre moi la grande autorité de Bossuet, et j’en gémis. il vaut que le pouvoir des rois soit absolu, et il essaye de distinguer ce genre de gouvernement du gouvernement arbitraire. Ce soin qu’ont toujours pris les hommes de chercher des barrières à la souveraine puissance dans les diverses constitutions des empires et des monarchies, il l’appelle un vain tourment.
Mais on sait que Fénélon, d’accord avec l’immense majorité des docteurs catholiques antérieurs au XVIIIe, est d’un tout autre avis. L’homme se donnera toujours ce vain tourment, et c’est son honneur. Il y sera autorisé d’ailleurs par l’exemple de tous les âges, et surtout par la tradition de la chrétienté, par toute l’histoire de ces grands siècles du Moyen Age, dont le regard de Bossuet s’est volontairement détourné. Ebloui par la monarchie illimitée, celle que Louis XIV personnifiait devant lui, son génie s’est arrêté, comme éperdu, devant l’étude et l’explication des plus beaux temps de nos annales. En écrivant l’histoire universelle, il la termine brusquement à Charlemagne, c’est-à-dire au moment où la chrétienté se fonde, où l’Eglise triomphe, où le sacerdoce et l’empire organisent leur alliance. En traçant pour un prince chrétien les droits et les devoirs de la politique, il les emprunte exclusivement à l’histoire du peuple juif, comme si l’exemple de cette nation, sur laquelle Dieu s’était réservé une action directe et visible par les prophéties et les miracles, qui fut d’ailleurs toujours rebelle à sa loi, et dont l’existence politique précède la venue de Notre-Seigneur, devait être le seul que pussent invoquer ldes peuples catholiques ayant l’Eglise pour guide immortel et le Calvaire pour point de départ. Je livre cette observation aux juges compétents ; je ne la hasarde pas qu’en tremblant, car nul ne s’incline avec plus tendre respect, avec une admiration plus passionnée que moi, devant le plus mâle génie et l’homme le plus éloquent que la terre ait jamais porté.
Je me permets donc d’affirmer, jusqu’à preuve du contraire, que l’étroite alliance de l’Eglise avec le pouvoir absolu, dont Bossuet et ses successeurs avaient fait en quelque sorte un article de foi parmi, a été une nouveauté qui ne date que du XVIIe siècle, et qui a contre elle dans l’histoire du catholicisme mille ans de traditions et de précédents contraires. [...] Je ne veux marcher qu’avec des précautions extrêmes ; je me mets en garde contre ce paralogisme signalée par l’école : Cum hoc ergo propter hoc. Je ne veux m’arroger aucun droit contestable. Je parle dans l’ordre des choses permises : je ne pose aucun principe ; je ne promulgue aucune doctrine ; je ne constate que des faits, et j’en tire des conséquences purement pratiques. Je ne consulte que l’expérience ; je fais de l’empirisme, mais de l’empirisme de croyant, en regard de cet empirisme incrédule qui a dominé le monde moderne jusqu’à nos jours.
Mais sur ce terrain là je proclame, sans crainte d’être démenti, que c’est à la liberté que nous devons en fait, le succès merveilleurx et imprévu des intérêts catholiques [...] Ce n’est [...] ni l’Empire, ni la Restauration ; ce n’est ni la protection, ni la sympathie du pouvoir qui lui ont valu la force qu’elle possède aujourd’hui, le mieux relatif que chacun ressent, le progrès manifeste qui chaque jour se révèle.
Qu’est-ce donc ? Il faut le dire : c’est la liberté, rien que la liberté, et la lutte rendue possible par la liberté."
Charles de Montalembert, «Des intérêts catholiques au XIXe», in Le Correspondant, novembre 1852, repris in Oeuvres de M. le Comte de Montalembert, Paris, Lecoffre, T. V., 1860, pp. 56-57, 59-64 et 154.
http://penser-le-genre-catholique.over-blog.com/pages/Charles_de_Montalembert_La_liberte_rien_que_la_liberte_et_la_lutte_rendue_possible_par_la_liberte_1852-5150552.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Montalembert
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