zaterdag 23 maart 2013

"Que sont les intellectuels devenus ?"(2)...

"Que sont les intellectuels devenus"(1), voir billet du 14-03-2013.

Dans une seconde partie au ton plus offensif, intitulée "L'essor des néoconservateurs", Enzo Traverso en vient ainsi à considérer que l'époque actuelle se caractérise par l'inexistence des anciens intellectuels à visée universaliste – le plus souvent de gauche mais pas toujours (le cas d'Aron étant un idéal-type) –, notamment depuis la mort de Pierre Bourdieu en 2002 en France , mais aussi d'Edward Saïd en 2003 aux Etats-Unis, et, de manière générale, par la perte d'influence des intellectuels spécifiques réellement critiques, dont la parole est souvent polluée par les interventions tonitruantes, pourtant aussi inoffensives que dénuées de nuances, des "bons clients" des mass media, relayant ainsi l'idéologie dominante par ce que certains (en particulier les "experts économiques") appellent la "pédagogie de la réforme".

Enzo Traverso en vient d'ailleurs à affirmer que "le silence des intellectuels critiques provient de l’intériorisation d'une défaite" car, dans le champ politique, "aujourd'hui les partis n'ont plus besoin ni de militants ni d'intellectuels, mais surtout de managers de la communication" . Avec la "fin des idéologies" depuis 1989 et le triomphe du capitalisme, aucune alternative ne devient véritablement intelligible dans l'espace public avec "l'émergence des thinks tanks qui se chargent de neutraliser la pensée critique et [qui] élaborent des stratégies de pouvoir […] [alors que] les nouvelles revues qui avaient structuré le débat intellectuel des années 1970 disparaissent ou se transforment [et que] de nouvelles revues surgissent [dans les années 1980], orientées vers "l'extrême centre", parfois d'une haute tenue intellectuelle, comme Le Débat, mais toujours d'un conformisme affligeant" .

Cette "éclipse des intellectuels", au sens noble du terme, dont parle Enzo Traverso tout au long de cette discussion avec Régis Meyran, correspond ainsi à une période contemporaine, ouverte depuis la fin des années 70, durant laquelle un courant qu'il considère "néoconservateur" s'impose dans le débat public, souvent incarné d'ailleurs par des ex-communistes ou par d'anciens gauchistes . Cette période charnière, qui court jusqu'aux années 1980 et 1990, a en particulier imposé très largement l'idée selon laquelle les utopies, par essence totalitaires, sont dangereuses, alors que parallèlement le triomphe de la démocratie libérale combinée à l'économie de marché a fait apparaître de manière très marquée l'emprise de la communication en politique, la marchandisation de la culture et l'émergence d'une pensée dominante relayée par des médias puissants peu portés vers la critique. C'est dans ce contexte "postidéologique", propre à notre époque contemporaine, que l'on peut parler, selon Enzo Traverso, de la "fin des intellectuels" car la politique s'alimente de moins en moins d'idées, remplaçant l'ancien intellectuel engagé – et donc critique – par un expert désincarné qui épouse l'air du temps, en se montrant au service du pouvoir et totalement étranger aux mouvements sociaux.

Damien AUGIAS

http://www.nonfiction.fr/article-6416-p2-que_sont_les_intellectuels_devenus_.htm

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