dinsdag 26 februari 2013

La publicité, une histoire de médias entre autres...

Petit rappel:

La pieuvre publicitaire

La fabrique des désirs

par Ignacio Ramonet, mai 2001


« Le métier de la publicité est désormais si proche de la perfection qu’il va être difficile d’y apporter des améliorations. »
Samuel Johnson, 1759.

Contrairement aux idées reçues, la publicité et ses ficelles sont anciennes (1). Dès le XIIe siècle, des crieurs assermentés parcouraient le cœur des villes en scandant à tue-tête des ordonnances ou des avis divers. Au XVIIIe siècle, avec l’invention de la lithographie, naît l’affiche commerciale qui tapisse aussitôt murs et palissades. Mais c’est au XIXe siècle que la machine prend son essor. La publicité devient un marché et entreprend vite de coloniser les pages des journaux.

« Dès 1836, Emile de Girardin a l’idée de lancer son quotidien à grand tirage, La Presse, en l’ouvrant aux annonces commerciales. En 1832, Charles Havas crée la première agence d’information internationale qui ne tarde pas à gérer aussi les espaces publicitaires. En 1865, les petites annonces représentent déjà un tiers de l’espace des journaux (2). » Au tournant du siècle, les grandes firmes issues de la révolution industrielle doivent créer un marché de masse et façonner une demande inorganisée. Car il n’y a rien de « naturel » dans le phénomène de la consommation de masse. Il s’agit d’une construction culturelle et sociale. (Et nous soulignons: IL S'AGIT D'UNE CONSTRUCTION CULTURELLE ET SOCIALE)

Dès 1892, par exemple, Coca-Cola se dote d’un des principaux budgets publicitaires au monde. Et en 1912, la répartition des investissements publicitaires de la firme est la suivante : 300 000 dollars d’annonces dans la presse, 1 million de calendriers, 2 millions de cendriers, 5 millions de panneaux lithographiques, 10 millions de boîtes d’allumettes aux couleurs de Coca-Cola (3)... Dès cette époque, les dirigeants de cette firme conçoivent la publicité à l’intention du plus grand nombre possible d’acheteurs potentiels. « La répétition, déclare l’un d’eux, peut venir à bout de tout. Une goutte d’eau finira par traverser un rocher. Si vous frappez juste et sans discontinuer, le clou s’enfoncera dans la tête (4). »

Messages subliminaux

Le XXe siècle, avec la multiplication des médias électriques (cinéma, radio), électroniques (télévision) et numériques (Internet), a vu non seulement l’explosion de la publicité mais aussi sa sophistication. L’ambition de manipuler les esprits, à l’intérieur même des foyers, s’est haussée quasiment au niveau d’une science. Les techniques de persuasion n’ont cessé de s’affiner pour vaincre la barrière du bruit, déjouer notre méfiance et venir incruster dans notre esprit un message très précis.

On estime actuellement, dans les pays développés, le mitraillage publicitaire à plus de 2 500 impacts par personne et par jour. La télévision française, toutes chaînes confondues, a diffusé, en 1999, plus de 500 000 spots... Dans ces conditions, un message publicitaire a fort peu de chances d’être perçu. Une enquête a confirmé que 85 % de l’ensemble des messages publicitaires parvenant à un auditoire ne l’atteignent pas. Sur 15 % restants, 5 % provoquent des effets contraires (« effet boomerang ») à ceux que l’on recherchait. Et seulement 10 % agissent, en principe, positivement. Encore faut-il savoir que ces 10 % se réduisent, au bout de vingt-quatre heures, par oubli, à simplement 5 %. La déperdition atteint donc 95 % des messages publicitaires émis !

Comment procède alors la pub pour nous atteindre ? Certains ont imaginé un message réduit à une seule image et dont l’effet serait considérable. Un tel procédé, dit de l’image subliminale, rend imperceptible la publicité. En insérant une image parasite parmi les 24 qui défilent par seconde au cinéma (25 à la télévision), la persistance rétinienne ne se produit pas. L’œil voit et le cerveau en est informé, mais en dessous du seuil de conscience. Par effet subliminal (du latin sub limen, sous la limite).

Considérées comme illégales, les images subliminales hantent l’esprit de nombreux citoyens (5). En France, en 1988, après la victoire électorale de François Mitterrand, le journal Le Quotidien de Paris reprocha à ce candidat d’avoir bénéficié de l’effet occulte d’« images subliminales » contenues dans le générique du journal télévisé de la deuxième chaîne (alors Antenne 2). Un procès fut intenté pour « manipulation électorale ». Les plaignants perdirent le procès. Mais la CNCL, ancêtre de l’actuel Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), décida d’interdire toute incrustation de ce type.

En mai 2000, une association, aux Etats-Unis, a accusé le film Battlefield Earth, adapté d’un roman de Ron L. Hubbard, fondateur de l’Eglise de scientologie, et interprété par John Travolta, de « contenir des images subliminales » pour favoriser la conversion du public.

En septembre 2000, au cours de la campagne présidentielle, le candidat républicain George W. Bush dut admettre qu’un spot réalisé par son équipe contenait une image subliminale. Ce spot s’en prenait au programme de son adversaire démocrate Albert Gore. En surimpression sur l’image de ce candidat apparaissait d’abord la phrase : « The Gore Prescription Plan : Bureaucrats Decide. » Puis, sur fond noir, cette phrase voyait les quatre dernières lettres du mot « bureaucrats » se détacher et venir s’inscrire, un trentième de seconde, en capitales, « RATS », sur tout l’écran (6). Harcelé par les médias, M. Bush dut se résigner à le retirer de sa campagne.

La publicité se voulant un art de persuader, chaque message est très élaboré. Avant diffusion, par exemple, une image est parfois soumise au test dit d’« eye camera » : on enregistre, sur un spectateur cobaye qui la regarde, par caméra invisible, le mouvement des yeux, l’activité des pupilles. En multipliant ces tests, on peut déterminer statistiquement le parcours de l’œil ; ce qui est vu en premier, ce qui lui échappe. Tout cela procède d’un travail de recherche issu de la collaboration de spécialistes appartenant à des disciplines diverses : sociologues, psychologues, sémiologues, linguistes, graphistes, décorateurs.

Une telle conjonction d’expertises a fait dire à Marshall McLuhan : « Il n’y a pas d’équipe de sociologues capable de rivaliser avec les équipes de publicitaires dans la recherche et l’utilisation de données sociales exploitables. Les publicitaires consacrent chaque année des milliards de dollars à la recherche et à l’examen des réactions du public et leur production est une extraordinaire accumulation de données sur l’expérience et les sentiments communs de toute la société (7). »

Les enfants sont une cible privilégiée. Selon une estimation du Syndicat national de la publicité télévisée, les annonceurs ont dépensé, en France, en 1999, plus de 1 milliard de francs en spots destinés aux enfants de moins de 14 ans. L’Institut de l’enfant estime qu’environ 45 % de la consommation familiale (soit 500 à 600 milliards de francs par an) est plus ou moins directement influencée par des désirs enfantins. « L’avis des 4-10 ans joue surtout sur l’alimentaire, la confiserie, le textile et les jouets, estime Joël-Yves Le Bigot, président de cet institut, mais ils influencent aussi 18 % des achats de voitures et 40 % du choix des lieux de vacances (8). »

La publicité promet toujours la même chose : le bien-être, le confort, l’efficacité, le bonheur et la réussite. Elle fait miroiter une promesse de satisfaction. Elle vend du rêve, propose des raccourcis symboliques pour une rapide ascension sociale. Elle fabrique des désirs et présente un monde en vacances perpétuelles, détendu, souriant et insouciant, peuplé de personnages heureux et possédant enfin le produit miracle qui les rendra beaux, propres, libres, sains, désirés, modernes...

La publicité vend de tout à tous indistinctement, comme si la société de masse était une société sans classes. « Face à un monde angoissant, que la télévision rend présent à tous, a pu affirmer le sémiologue Louis Quesnel, la publicité évoque un monde idéal, purifié de toute tragédie, sans pays sous-développés, sans bombe nucléaire, sans explosion démographique, et sans guerres. Un monde innocent, plein de sourires et de lumières, optimiste et paradisiaque (9). »

Par accumulation, les pubs répètent et accréditent les grands mythes de notre temps : modernité, jeunesse, bonheur, loisirs, abondance... La femme, par exemple, reste enfermée dans une parole qui, le plus souvent, ne la reconnaît que comme objet de plaisir ou sujet domestique. Elle est traquée et culpabilisée, rendue responsable de la saleté de la maison ou du linge, de la détérioration de sa peau et de son corps, de la santé des enfants et de la propreté de leurs fesses, de l’estomac du mari et des économies du foyer. Au bureau ou à la cuisine, sur une plage ou sous la douche, sa dépendance ne varie pas : elle demeure esclave du regard du maître, l’homme la jugera quoi qu’elle fasse, et même si elle se « libère » par son travail à l’extérieur, il surveillera le hâle de sa peau, l’odeur de ses aisselles, la brillance de ses cheveux, la fraîcheur de son haleine, le relief de son soutien-gorge ou la couleur de ses collants.

Impuissance de la liberté

Ancien activiste contre la guerre du Vietnam, William Zimmermann estimait qu’il ne fallait pas avoir honte d’utiliser la publicité pour se faire entendre : « Aujourd’hui, la classe progressiste américaine n’a pas le choix : être détruite par le système ou, ce que nous avons enfin compris, le détruire en utilisant ses propres armes (10). » Ce n’est, bien entendu, pas si simple. Car le principe de la publicité est de tout recycler. A cet égard, on a vu récemment des symboles comme la faucille et le marteau (Self-Trade), ou de grands leaders révolutionnaires comme Marx (la banque UFF), Lénine (LibertySurf), Mao (banque UFF), Zapata (LibertySurf) ou Che Guevara (LibertySurf) servir de faire-valoir, dans des pubs, pour vanter la « révolution » Internet...

A ce propos, Frédéric Beigbeder observe : « Les dictatures d’autrefois craignaient la liberté d’expression, censuraient la contestation, enfermaient les écrivains, brûlaient les livres controversés. (...) Pour réduire l’humanité en esclavage, la publicité a choisi le profil bas, la souplesse, la persuasion. Nous vivons dans le premier système de domination de l’homme contre lequel même la liberté est impuissante. Au contraire, il mise tout sur la liberté, c’est là sa plus grande trouvaille. Toute critique lui donne le beau rôle, tout pamphlet renforce l’illusion de sa tolérance doucereuse. Il vous soumet élégamment. Le système a atteint son but : même la désobéissance est devenue une forme d’obéissance (11). »

Structurellement réductrice, la publicité offre une vision condensée, schématique, simple de la vie. Elle recourt volontiers à des stéréotypes pour nous dicter nos désirs. Et nous faire accepter notre propre asservissement.



Ignacio Ramonet

Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.



(1) Voir l’exposition « 250 ans de publicité », Musée de la publicité, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris.


(2) Libération, 24 mars 2001.


(3) Cf. Richard S. Tedlow, L’Audace et le marché. L’invention du marketing aux Etats-Unis, Odile Jacob, Paris, 1997.


(4) Ibid.


(5) Lire Propagandes silencieuses, Galilée, Paris, 2000.


(6) International Herald Tribune, Paris, 13 septembre 2000.


(7) Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Seuil-Mame, Paris, 1968, p. 252.


(8) Télérama, Paris, 12 avril 2000.


(9) Communications n° 17, Paris, Seuil, 1971,


(10) Le Monde, 4 mai 1980.


(11) Frédéric Beigbeder, 99 F, Grasset, Paris, 2000.

http://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/RAMONET/15208

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