woensdag 10 april 2013

Écrire...

Écrire (publiquement) pour penser


5 avril 2012
Par Jonathan Chibois


J’ai écris mon premier livre en huit semaines : huit chapitres. (…) Si j’ai écrit en huit semaines huit chapitres, c’est parce que j’étais « enceint ». J’avais tellement médité et construit mon livre dans la tête qu’une fois que j’ai commencé à écrire, j’ai écris un chapitre par semaine. (…) Je me sentais dans une sorte d’auto-possession, j’avais ajusté toutes ces pensées d’avance.

Cette anecdote de Maurice Godelier1 suscite chez moi autant d’interrogations que d’admiration, tant il me semble improbable que l’acte de penser et celui d’écrire puissent être distincts.

« Brainstorming »

Écrire pour penser

La pensée vient par l’écriture, en ce qui me concerne en tout cas. Pour approfondir, déduire, contester, rebondir, bref pour avancer, j’ai besoin de rédiger. Pour les deux raisons (au moins) que sont la narration et l’audience, il n’y a que dans cet exercice que je parviens à me soumettre à une rigueur de définition, de hiérarchisation et d’argumentation. Ceci me fait dire que pour celui qui écrit, le texte final est souvent secondaire au vu de l’importance de l’écriture en tant qu’acte de production et de mise en forme de la pensée.

Avant d’écrire pour communiquer, j’écris donc (égoïstement) pour penser. Un texte sous sa forme finale, c’est-à-dire, travaillé et bien construit, ne m’est dans une certaine mesure plus d’aucune utilité2. Une fois une idée écrite, elle est intégrée à la nébuleuse de ma pensée en gestation. Même envisager de m’appuyer un jour sur ce produit fini pour la rédaction de ma thèse est illusoire, puisqu’un message dont on veut favoriser la réception s’adapte toujours aux interlocuteurs ciblés. Pour recycler, il faut reformuler, donc reconstruire, repenser, bref : ré-écrire. Le produit de mon écriture – le fruit de mes réflexions – n’a alors pas d’autre vocation que d’être le message que je destine à des lecteurs : penser est en ce sens un acte de communication.

Écrire sans lecteurs

Or, nous n’écrivons pas toujours publiquement, et même à vrai dire rarement (proportionnellement parlant). L’écrit privé précède l’écrit publique, nous n’attendons (heureusement) pas l’occasion d’être lu pour commencer à travailler. Écrire pour soi, c’est être son propre lecteur, mais en ce cas écrire n’est plus un acte de communication vers autrui, le fruit de ma pensée n’est plus un message, les lecteurs pour qui je prends tant de soins à formuler, expliciter, argumenter disparaissent.

Les lecteurs absents, l’exercice d’écriture n’a plus de raison d’être. Si écrire pour penser c’est formuler son propos pour s’adresser à des lecteurs, pourquoi (comment ?) alors écrire pour soi ? Non seulement le temps et l’énergie sont des ressources suffisamment rares pour être difficile à mobiliser si les enjeux manquent, mais en plus l’audience est un moteur de la rigueur et de l’exigence.

Paradoxalement, avoir conscience du fait que le processus prime sur le produit (peu importe ce qu’on écrit, l’essentiel est d’avancer) ne libère pas l’écriture, mais me paralyse en faisant disparaître les enjeux. Dans le travail quotidien de la recherche, ce qui aurait pu être une invitation à une écriture foisonnante, décomplexée, inventive, est surtout une incitation à l’errance, au sens d’une déambulation durable sans autre but que le voyage lui-même3.

Écrire publiquement

Rédiger des billets de blog n’est donc pas une activité annexe à la thèse. Mes billets, en tant qu’écrits publiques d’une pensée en cours d’élaboration, sont des morceaux à part entière du produit final de mon travail, puisque c’est avant tout en les rédigeant que j’ébauche, développe, et peaufine mon propos.

Le billet est à mi-chemin entre le brouillon et le texte rédigé [...] comme un texte “in progress“, qui est une version à statut scientifique, mais qui n’en est pas le simple brouillon.4

Bien sûr, cela nécessite que j’assume dès à présent les (probables) futures erreurs et ce « temps des hypothèses »5, ce qui ne me semble pas insurmontable au vu de la souplesse de ce support qui autorise les corrections a posteriori et les mea culpa. Moins un risque qu’un parti pris, il me plaît en effet de montrer que la pensée n’est jamais définitivement figée, que la recherche est vivante6.

Par la possibilité de rendre public des écrits usuellement privés, ce qu’offre en définitive le carnet en ligne c’est pour le chercheur « la maîtrise de son espace de publication », selon les mots d’André Gunthert7. Une telle formule n’est pas anodine car de fait, dans une vision politique de l’édition scientifique, elle oppose deux conceptions de la recherche : l’une où le chercheur est asservi « aux choix thématiques ou disciplinaires d’une revue ou à l’agenda d’un éditeur », l’autre où il joue de sa liberté individuelle pour décider de l’objet et des modalités de ses publications (donc de sa pensée).

S’il n’est pas question de remettre en cause le bien-fondé des pratiques collectives d’évaluation par les pairs (“peer-reviewed“), cette voie parallèle offre un rééquilibrage bienvenu, à un moment où le monde savant entame une course à la rationalisation inspirée par les regroupements industriels.8

Crédit illustration : « Brainstorming », Mike Oliveri, 2007 (CC-by-nc-sa)
1.in Ghasarian, 2004, p-199-200 [↩]
2.si ce n’est pour me rappeler quelle forme avait ma pensée ce jour. [↩]
3.Source : Wiktionnaire [↩]
4.Benoît Kermoal (Enklask), cité par Marie-Anne Paveau [↩]
5.Frédérique Giraud et Mélodie Faury, Le carnet de thèse, Les Espaces Réflexifs, 02/2012 [↩]
6.évoqué ici dans F. Giraud et M. Faury, ibid. [↩]
7.A. Gunthert, Why Blog ?, ARHV, 11/2009 [↩]
8.A. Gunthert, ibid. [↩]

http://reflexivites.hypotheses.org/1738

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