maandag 8 april 2013

Sur Érasme...

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Jordi Savall, Livre/CD

ÉRASME
Le grand humaniste européen au service de la Paix et de la Liberté

C’est surtout grâce aux beaux portraits peints par Holbein, Dürer et Quintin Metsys et à une œuvre de jeunesse, son Éloge de la folie que le souvenir d’Érasme de Rotterdam est resté présent dans la mémoire culturelle. Son œuvre immense et sa vie, connues seulement d’une poignée de spécialistes, commencent à être plus largement étudiées et diffusées à partir des premières années du XXe siècle et c’est grâce à différents essais, et spécialement à celui de Stefan Zweig Érasme. Grandeur et décadence d’une idée (publié en Autriche en 1934, en France en 1935, en Italie en 1935, etc.) que l’on commence alors à mieux connaître la véritable dimension de ce grand voyageur, passionné par la recherche du dialogue et de la paix : il proclame dans sa Querela pacis, « Le monde entier est notre patrie à tous », et ceci justement à une époque où l’Europe est à feu et à sang. Les haines qui opposent Anglais, Allemands, Espagnols, Italiens et Français lui semblent une absurdité.

Érasme est toujours prêt à prendre la plume contre les injustices, les guerres, le fanatisme et même contre la déchéance morale de sa propre église. Le règne d’Érasme, dont l’autorité s’étendait, en ce début de XVIe siècle, sur tous les pays d’Europe, fut un règne qui triompha sans recours à la violence, par la seule puissance de sa force spirituelle. Comme nous dit Stefan Zweig « Durant une heure merveilleuse l’Europe est unie par un rêve de civilisation commune, qui, grâce à une unité de langue [le latin], de religion et de culture, devrait mettre fin à l’antique et funeste discorde. Le souvenir de cette inoubliable tentative restera éternellement lié à la personnalité et au nom d’Érasme. Car ses idées, ses désirs et ses rêves ont dominé l’Europe pendant un moment de l’histoire et c’est bien pour son malheur et le nôtre que cette volonté aux pures intentions n’a été qu’un court entracte dans la tragédie sanglante de l’humanité. »

Selon Érasme la tyrannie d’une idée est une déclaration de guerre à la liberté de l’esprit, ce pourquoi tout au long de sa vie il a refusé de prendre parti pour une idéologie ou une formation, il est convaincu qu’un homme de parti est obligé de croire, de penser et de sentir avec partialité. C’est pourquoi Érasme respecte toutes les idées tout en se refusant à reconnaître l’autorité d’aucune. Il fut le premier penseur à se définir comme européen, il prôna l’accès de tous à la culture et à la connaissance comme base fondamentale à l’éducation de l’humanité, car pour lui il n’y a que l’individu inculte, l’ignorant qui s’abandonne sans réfléchir à ses passions. Malheureusement vers la fin de sa vie il est confronté à la brutale réalité d’un monde violent et incontrôlable : « A Paris on a brûlé à petit feu son traducteur et disciple, Berquin, en Angleterre, son cher John Fisher et son noble ami Thomas More ont péri sous la hache (1535)… » Zwingli, avec lequel il avait tant échangé de lettres a été tué sur le champ de bataille de Kappel…Rome est mise à sac par les soudards de Charles-Quint (1527).

Mais c’est la confrontation avec les théories de Luther qui va le plus le toucher, sachant que son combat pacifique est perdu d’avance à cause de l’obstination et de la rigidité, bientôt il voit venir la catastrophe. « Puisse cette tragédie ne pas se terminer malheureusement » s’exclame-t-il, assailli par les plus sombres pressentiments. C’est dans ces années-là que Luther, voyant la révolte paysanne se retourner contre ses appuis seigneuriaux, condamna les soulèvement de 1525 dans une courte brochure d’une rare violence, véritable appel au massacre, intitulée Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, dans laquelle il écrit : « (...) tous ceux qui le peuvent doivent assommer, égorger et passer au fil de l’épée, secrètement ou en public, en sachant qu’il n’est rien de plus venimeux, de plus nuisible, de plus diabolique qu’un rebelle (...). Ici, c’est le temps du glaive et de la colère, et non le temps de la clémence. Aussi l’autorité doit-elle foncer hardiment et frapper en toute bonne conscience, frapper aussi longtemps que la révolte aura un souffle de vie. (...) C’est pourquoi, chers seigneurs, (...) poignardez, pourfendez, égorgez à qui mieux mieux » (cité dans J. Lefebvre, Luther et l’autorité temporelle, 1521-1525, Paris, Aubier, 1973, p. 247, 253, 257). Sans ménagement Luther prend à jamais le parti de l’autorité contre celui du peuple. Et à la fin, lorsque les champs du Wurtemberg ont été inondés de sang, il avoue avec un courage extrême : « Moi, Martin Luther, j’ai tué tous les paysans révoltés, car j’ai ordonné de les assommer : j’ai leur mort sur la conscience. »

Érasme est désolé de voir que « l’on se bat avec acharnement entre religions, entre Rome, Zürich et Wittenberg ; pareilles à des orages voyageurs, les guerres s’abattent sur l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ; le nom du Christ est devenu une bannière guerrière. » Finalement c’est l’histoire du XXe siècle qui a montré le plus cruellement cette surestimation du civilisé, Érasme n’avait pas pu imaginer le problème terrible et presque insoluble de la haine des races. Mais comme dit Stefan Zweig : « Le monde a toujours besoin d’hommes qui se refusent à admettre que l’histoire n’est qu’un morne et perpétuel recommencement, la répétition insipide d’une même pièce avec d’autres décors, et qui aient la conviction inébranlable qu’elle indique au contraire un progrès moral, que la race humaine poursuit lentement son ascension de la force brutale à l’esprit d’ordre et de sagesse, de l’animalité à la divinité, et que le plus haut degré de l’échelle est déjà presque atteint… Bientôt, se disaient avec joie Érasme et les siens, l’humanité, largement instruite et consciente de sa propre force, reconnaîtra sa mission morale, et, après s’être dépouillée à tout jamais de ce qu’il y a encore de bestial en elle, vivra dans la paix et la fraternité… Mais ce n’est pas cette sainte aurore qui pointe à travers les ténèbres de la terre : c’est l’incendie qui va détruire le monde idéal de l’humanisme. Semblable aux Germains envahisseurs de la Rome classique, Luther, homme d’action et fanatique, va déchaîner un mouvement populaire national d’une force irrésistible, faire irruption dans le royaume des humanistes et briser leurs rêves internationalistes. Avant que l’humanisme ait véritablement commencé son œuvre de concorde universelle, la Réforme vient briser de son marteau de fer la dernière forme d’unité spirituelle de l’Europe : L’Eclessia universalis. »

Le projet de ce nouveau Livre/CD naît d’abord de l’idée de rendre un grand hommage à cet humaniste exceptionnel, à travers le dialogue vivant des textes et des musiques d’époque, situés pleinement dans leur contexte historique. Pour cela nous lui donnerons la parole à lui-même, avec les textes extraits de sa correspondance et de quelques-uns de ses écrits fondamentaux. A part Érasme lui-même, nous entendrons aussi les voix de la Folie et celles de Thomas More & de Luther. Dans les 3 Cds matériels qui accompagnent ce livre, les textes, en dialogue avec les musiques de l’époque, sont récités en français, par Louise Moaty (la Folie), Marc Mauillon (Érasme et Adages) et René Zosso (Thomas More, Machiavel et Luther). En complément sur Internet, tous les textes avec le même accompagnement musical seront aussi disponibles dans les six autres langues européennes : l’allemand, l’anglais, le castillan, le catalan, le hollandais et l’italien. Et finalement pour ceux qui seront intéressés par la seule écoute des musiques, nous ajoutons 3 autres Cds avec toutes les musiques sans les récits parlés. Les textes de la Folie sont accompagnés par des improvisations, variations ou adaptations vocales ou instrumentales sur le thème musical de la folia, tandis que dans les Cds. 2 et 3, les musiques de Dufay, Josquin, Sermisy, Lloyd, Isaac, Du Caurroy, Moderne, Morales, Trabaci et des pièces anonyme occidentales, sépharades et ottomanes, nous accompagnent tout au long des principaux événements de la vie d’Érasme et de son temps.

Nous sommes convaincus que les idées de ce grand humaniste, ses réflexions critiques et sa pensée philosophique restent une source essentielle de sagesse humanistique et spirituelle, tout en restant, même après 500 ans, d’une actualité surprenante, comme l’était aussi le jugement prémonitoire de Thomas More – son grand ami et remarquable penseur – dans son œuvre Utopie : « Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes choses se mesurent par l’argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la prospérité sociale, à moins que vous n’appeliez juste la société où ce qu’il y a de meilleur est le partage des plus méchants, et que vous n’estimiez parfaitement heureux l’État où la fortune publique se trouve la proie d’une poignée d’individus insatiables de jouissances, tandis que la masse est dévorée par la misère ». Cette description précise de la crise actuelle de l’Europe et du Monde, écrite il y a cinq siècles, montre jusqu’à quel point l’étude et la connaissance de ces grands penseurs humanistes peut nous servir pour réfléchir sur notre destinée humaine et pour pouvoir trouver des nouveaux chemins de dialogue, de justice et de paix. Avec les idées de ces humanistes s’ébauche déjà le postulat, non encore totalement réalisé aujourd’hui, d’une Union Européenne groupée sous le signe d’une culture et d’une civilisation communes ; une Europe unie qui sache se développer sur une idée morale, qui soit pleinement au dessus des intérêts économiques ou territoriaux.

JORDI SAVALL
Bellaterra, Automne 2012




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