vrijdag 12 april 2013

Penser en ligne...

Le carnet réflexif (IV). Penser en réseau, écrire en réseau

27 avril 2012
Par Jonathan Chibois

« (…) le blog n’est pas un carnet : c’est une base de données puissante qui organise son contenu dans le temps et dans l’espace avec une efficacité très supérieure à un traitement de texte. Les possibilités d’archiver, de retrouver ou de reclasser une information sont sans commune mesure avec les pauvres moyens des instruments bureautiques, tout en étant d’un usage infiniment simple, puisque structuré une fois pour toutes sous la forme de la pile rétro-chronologique (…). » — André Gunthert


« synapse »

Parcourir son propre carnet en ligne donne en effet mieux le sentiment de naviguer dans sa pensée, plus en tout cas que de naviguer dans une arborescence de fichiers. Quoique réellement pratique sous cette forme, la présentation du contenu sous une forme pile rétro-chronologique des billets n’est pas fondamentalement différente de la lecture à rebours d’un journal de bord, ce n’est pas ici que le blog possède sa spécificité à tant renouveler nos manières d’archiver, de classer, d’accéder à l’information, par une simplification drastique des procédures.

Si le développement de la pensée scientifique semble autant en adéquation avec l’écriture numérique publique, c’est – suggère Jean Clément (2007) dans un article remarquable1 – que ce support, en tant que dispositif hypertextuel de lecture et d’écriture, s’inscrit dans la lignée des textes fragmentaires. Le blog doit être vu comme un texte unique et cohérent qui renonce à la linéarité du discours en proposant au lecteur une multitude éclatée de billets-fragments, considérés comme unités minimales d’écriture, inter-reliés par leur auteur.

Cependant l’hypertexte ne peut être assimilé à une simple collection de fragments indépendants les uns des autres, qui pourraient être lus dans un ordre aléatoire. Entre l’ordre figé du livre et la déconstruction du recueil fragmentaire, l’hypertexte se présente comme un dispositif semi-construit.2

Quand il évoque le potentiel heuristique de l’hypertextualité, qui organiserait l’ensemble de ces unités de discours en un réseau au maillage fin, Jean Clément n’évoque seulement le procédé consistant pour l’auteur à disséminer des liens dans le corps du texte, ancrés sur les mots de ce texte. On pourrait y ajouter sans trahir son raisonnement deux autres formes d’hypertextualité dont il ne mentionne pas les vertus : la souplesse d’une classification hiérarchique non-exclusive (un texte peut être rangé dans plusieurs catégories à la fois), ainsi que la description de contenu par un écosystème mouvant de mots-clés (le nuage folksonomique). Ces deux systèmes de catégorisation également participent hautement à ce que le lecteur construise – de clic en clic – son propre texte :

(…) le rôle dévolu au lecteur dans l’hypertexte est plus important que dans le livre classique. C’est son cheminement personnel qui, en prélevant un ensemble d’informations et de propositions, contribue à construire le sens. Non pas seulement, comme dans la lecture traditionnelle, par une activité purement intellectuelle, mais par une interaction avec le système qui actualise des unités de lecture [billets] et fait naître des énoncés. Deux lecteurs ne lisent jamais le même hypertexte, non pas seulement parce que leurs lectures diffèrent, mais parce que ce qu’il leur a été donné à lire diffère.3

Le propre du genre fragmentaire est qu’il n’impose aucun connecteur logique entre chacune de ses unités de lecture. À chaque lecteur est laissé le soin de les deviner ou de les postuler, c’est donc un format autorisant qu’à chaque lecture soit produit un énoncé singulier :

(…) la production d’un énoncé singulier, résultat d’un cheminement piétonnier dans lequel l’état du système cognitif de l’utilisateur interagit avec l’état du système hypertextuel pour déterminer la route à prendre. Seule cette interaction est susceptible de construire une connaissance que le lecteur n’attendait pas ou même qu’il ne cherchait pas mais dont il avait besoin. Cette rencontre avec l’inattendu est fondamentale. Elle constitue ce que l’on appelle parfois la sérendipité ou l’art de trouver la bonne information par hasard.4

Pour le chercheur-blogueur qui accepte de devenir son propre lecteur, ceci est d’autant plus utile que ce processus est répétable à l’envie, pour un résultat à toujours différent. On a vu précédemment que le carnet pouvait être un prétexte à organiser sa pensée, également à communiquer sur l’état d’une recherche en cours, et même être l’occasion d’insérer une distance critique dans un dialogue avec soi-même. Mais à bien y regarder le carnet, en tant que technologie intellectuelle, est encore plus que cela : il est aussi cet espace qui accueille les pièces du puzzle d’une recherche, qui permet de les manipuler comme autant d’éléments distincts, d’en chercher les associations les plus pertinentes, d’en expérimenter l’assemblage. Tenir un carnet de recherche en ligne c’est à la fois écrire et lire sa recherche, c’est tenter de se convaincre autant que se surprendre, c’est explorer avant d’exposer. Écrire un billet, l’étiqueter de mots-clés, le catégoriser, sont autant d’actions où j’énonce ce qu’est ma recherche, en même temps que je la réalise – au sens premier5 : faire exister, accomplir.

En ce sens, le carnet de recherche en ligne est une technologie intellectuelle performative.

Ainsi l’hypertexte est-il beaucoup plus qu’une métaphore de la complexité, il en est l’outil d’écriture privilégié.6

Crédit photo : « synapse » par Akira Asakura, 2001 (CC-by-nc)
1.« L’hypertexte, une technologie intellectuelle à l’ère de la complexité » in Brossaud C., Reber B. (dir.), Humanités numériques 1., Nouvelles technologies cognitives et épistémologie, Hermès Lavoisier, 2007 [↩]
2.Op. cit., p. 6 [↩]
3.Ibid. [↩]
4.Ibid. [↩]
5.Source : ATILF [↩]
6.Ibid. [↩]

--------------------------------------------------------------------------------

Imprimer ce billet
Mots clefs : carnet de recherche, digitalhumanities, écriture, énonciation, hypertexte, réseau, technologie intellectuelle

Posté dans : Mois après mois, 2012, 04. Avril 2012. J. Chibois, Théories

4 commentaires pour “ Le carnet réflexif (IV). Penser en réseau, écrire en réseau ”

Penser l’écriture du blog I : La recherche séquentielle | Apprendre à lire à l'ère de la technique le 29/06/2012 à 14:15

[...] L’avènement d’une telle « technologie intellectuelle » (Jonathan Chibois) dont le concept est une construction récente pose donc le problème de l’inscription [...]

Répondre

Lu cette semaine (weekly) | relation, transformation, partage le 13/05/2012 à 23:32

[...] le carnet est autant le lieu de la recherche en train de se faire que le lieu de l’explicitation, autant destiné à comprendre qu’à faire comprendre. [...]

Répondre

jadlat le 10/05/2012 à 10:07

Il me semble qu’il y a aussi une autre dimension, c’est la réécriture d’un article et/ou son enrichissement selon les besoins ou selon les expériences. Il y a un peu une fonction palimpseste dans un billet de blog. Je viens de réécrire un article de 2007 en y ajoutant des références d’aujourd’hui. Mais je n’ai pas conservé l’original. Pourtant cet original est présent dans ma mémoire

Répondre

[Bibliographie] Le blogging scientifique | LASPIC | Carnet le 07/05/2012 à 14:59

[...] « Le carnet réflexif (IV). Penser en réseau, écrire en réseau », URL : http://reflexivites.hypotheses.org/2050. « Le carnet réflexif (V). Être lisible plutôt que lu », URL : [...]

Répondre

http://reflexivites.hypotheses.org/2050

Geen opmerkingen:

Een reactie posten