dinsdag 29 januari 2013

Sur les images et le monde de la photo et des blogs....

http://culturevisuelle.org/viesociale/3906

L’invitation récente du Centre Pierre Naville m’a offert l’opportunité de réaliser un nouveau bilan de mon blog, après trois ans d’expérience.

Je ne reviendrai pas sur son démarrage, déjà raconté dans un bilan précédent.

Au fil du temps, le livre en ligne qui est à l’origine du blog a versé dans un statut d’archive qui continue à être consultée : le dernier comptage, effectué en mai 2012 révélait un total d’environ 20 000 visiteurs sur l’ensemble des chapitres, dont 4000 pour la table des matières (plus de 5000 aujourd’hui). On constate donc un effet de traîne, comme dans l’édition classique, même si on ne sait jamais ici si les visiteurs sont des lecteurs effectifs. En outre, les chiffres varient beaucoup d’un chapitre à l’autre car les internautes peuvent n’aller voir que celui ou ceux qui les attirent, à la différence d’un livre papier qu’il faut acheter en entier. Bref, ces statistiques sont difficiles à interpréter, mais elles signalent tout de même que ce livre a conservé une visibilité grâce au blog.

Plusieurs suggestions m’ont été faites pour mieux le valoriser en ligne. Il me faudrait les mettre en œuvre si j’en trouvais le temps. L’auto-édition procure une totale liberté, mais elle trouve ses limites dans l’investissement que chacun peut y consacrer. Maintenir vivant le texte des Images dans la société bute sur ma disponibilité, bordée de toute part par de nombreux autres engagements.

Je note avec intérêt l’initiative de Bruno Latour qui vient de mettre en ligne son dernier livre Enquête sur les modes d’existence : la version publiée sur papier (aux éditions La Découverte) est présentée comme un point de départ offert à la discussion de tous ceux qui souhaitent devenir des contributeurs sur le site qui leur est ouvert. Il s’agit donc bel et bien d’un contenu évolutif, appelé à déboucher sur une nouvelle version enrichie du livre. A ceci près qu’il s’agit d’un projet collectif, bénéficiant d’un financement européen et donc d’une équipe permanente employée à le faire fonctionner.

Au fil des mois, j’ai découvert ce qu’était un blog en en faisant l’expérience au jour le jour.

Les atouts d’un blog :

Ce blog me permet :
•de réagir à l’actualité sous la forme de billets plus ou moins fouillés, sans forcément que le thème abordé s’intègre dans une véritable enquête en cours ;
•de rendre compte rapidement d’observations empiriques diverses ;
•de tenir de la sorte un journal de bord ouvert au regard et à l’avis des autres. Auparavant, j’accumulais – comme beaucoup de mes collègues, je suppose – quantité de notes écrites sur des bouts de papier et de documents, entassés souvent en vrac, voire rangés, mais à l’état brut.
Alimenter le blog m’impose un travail d’écriture plus conséquent, même s’il reste le plus souvent concis. Il devient nécessaire de formaliser des embryons d’idées, des pistes de réflexion. S’adresser aux autres astreint en effet à expliciter davantage les formules lacunaires dont on se contente pour son propre usage, et qu’il n’est d’ailleurs pas toujours possible de reprendre plus tard tellement elles portent la marque d’un instant oublié entre-temps. Car ce journal de bord est tenu sous le regard des autres et soumis à leur appréciation critique. J’engrange ainsi continuellement des compléments d’information, des suggestions, des réactions, des critiques.
•De valoriser les travaux ou réalisations des autres, en particulier d’étudiants dont j’ai la chance d’encadrer les enquêtes. Je l’ai fait à plusieurs reprises pour les faire connaître. Je remarque d’ailleurs que mon blog, si modeste soit-il, est perçu par certains comme un relais d’information, ce qui me vaut de recevoir des informations sur des événements à venir, voire des publications dont les auteurs espèrent que je vais me faire l’écho
•Enfin, la structuration du blog fournit un mode d’archivage et de classement, par le biais des rubriques des mots-clés (« tags »). Je peux ainsi me permettre une grande diversité thématique sans perdre pour autant la trace des billets publiés. Je peux compléter ceux-ci après-coup ou y déposer des références, des questions pour plus tard.

La formule du blog permet également de publier ou republier des textes d’analyse inédits ou devenus peu accessibles. Avec cette fois le bénéfice de recueillir des réactions (exemple de la republication en avril 2011 de mon texte sur Andres Serrano).

Je mise à présent délibérément sur les ressources du blog pour alimenter des travaux de recherche en cours.

Parfois, ponctuellement, en lançant à la cantonade un appel à documenter telle ou telle image (des pictogrammes, par exemple) ou une situation observée (les panneaux piratés sur le front de mer de Notre-Dame-de-Monts).

D’autres fois, de manière suivie dans le cadre d’une enquête en cours. Par exemple, celle sur les répercussions du numérique dans la profession photographique : j’y ai consacré une vingtaine de billets sur des aperçus partiels, des idées en cours d’élaboration, certaines premières formulations (communications à des colloques), qui ont attiré plus de 20 000 visiteurs en l’espace de deux ans et suscité de nombreuses réactions, souvent de professionnels de la photographie, commentant, discutant, polémiquant, apportant des informations nouvelles, etc. Il en est résulté un enrichissement indéniable de l’enquête, ainsi qu’un effet d’annonce qui m’a facilité par la suite de nouveaux contacts.

Les questions spécifiques liées aux matériaux visuels étudiés :

Comment travailler sur les images sans les montrer ?

Commençons par le contre-exemple d’un article que j’ai publié récemment dans la revue L’Homme :

Tout d’abord, il s’est écoulé trois ans entre l’écriture du texte et sa parution ! Sur la quinzaine d’images que j’aurais voulu publier, seulement trois étaient libres de droit. Et de toute façon, il n’y avait pas de budget pour la reproduction, sauf si je l’apportais moi-même !

Qu’on songe aux revues scientifiques, impensables sans illustrations. Ce contraste renvoie indéniablement à une différence de culture et, en même temps, à des questions de financement (sources des dérives enregistrées dans le domaine scientifique où sévit le règne des publications payantes).

Au final : j’ai opté pour une double publication :

dans la revue papier sous une forme « pauvre », mais académiquement stratégique, avec un renvoi à mon blog ;

sur La vie sociale des images, avec toute l’iconographie, au bénéfice du statut « savant » et gratuit de cette publication.

Est-ce légal ? Probablement pas : j’ai encore en mémoire la diatribe de cette avocate qui m’avait menacé de poursuites ! Mais dans les faits, les très nombreux billets qui sont publiés sur Culture visuelle avec une iconographie reprise des médias ne suscitent généralement pas de récrimination. Quand bien même le cas se produirait, il suffirait de retirer l’illustration incriminée. De plus, Culture visuelle permet un registre de publication privée, réservée aux membres inscrits. Bref, sur cette plate-forme, on mise avant l’heure sur le fair use à l’anglo-saxonne.

Les lourdeurs, les contraintes et les limites d’un blog de ce type :

Il y a tout d’abord la lourdeur du travail d’auto-édition ou de « post-production » : chaque billet doit être complètement mis en forme selon les normes d’édition requises – ce qui suppose de s’y être formé techniquement (ici, le fait de bénéficier d’une plate-forme de blog déjà opérationnelle a été un atout de taille). Le moindre document nécessite une préparation pour être intégrable. Les photos, en particulier, doivent être retravaillées et sauvegardées dans un format pour le Web si l’on veut qu’elles soient facilement accessibles pour les internautes. Ne pouvant compter sur aucun appui logistique (je suppose qu’il en va de même pour les autres membres de la communauté), j’assure seul l’ensemble de ces tâches qui prennent beaucoup de temps, même si, heureusement, Culture visuelle nous permet de mutualiser les difficultés et les solutions. A la longue, la question devient : comment tenir la cadence, sachant qu’un silence prolongé provoque la désertion des lecteurs ?

Blog consacré aux images, inséré dans une communauté centrée elle aussi sur l’étude des images, La vie sociale des images me conduit à travailler non seulement sur les images, mais également avec des images. Ne serait-ce que pour satisfaire cet implicite (passablement impératif) de la blogosphère : les contenus y associent des textes et des images, comme le reste de ce qu’on trouve sur Internet. En outre, beaucoup de mes observations de pratiques sociales liées aux images gagnent à être complétées par des images : celles que produisent les acteurs, comme les photographies que je peux prendre moi-même en situation. C’est ainsi que je suis devenu un peu photographe pour les besoins du blog.

Cette production d’images a alimenté par ailleurs un compte personnel en ligne sur le site Flickr qui permet le partage et, là aussi, les commentaire sur les images partagées. L’objectif était en particulier de mettre en commun l’iconographie de recherche des différentes membres de Culture visuelle. Mais, depuis quelques mois, j’ai cessé d’alimenter ce compte pour réduire le temps que je consacre à la mise en ligne de chaque billet. Je n’ai par ailleurs ni compte Facebook, ni compte Twitter, et j’en passe. Objectivement, je mets un frein à toutes ces sollicitations d’Internet pour conserver à mon investissement une dimension raisonnable, du moins praticable compte tenu de mes autres contraintes professionnelles.

Parmi les limites d’un blog, je citerai la versatilité des commentaires et leur caractère éphémère. Les débats les plus durables s’étendent sur quelques jours, voire une ou deux semaines. Souvent, beaucoup moins. Sans parler des billets qui ne soulèvent aucune réaction formalisée. En pareil cas, on connaît le nombre de visiteurs, sans plus. Sachant, de surcroît, que tous ces « visiteurs » ne sont pas forcément des lecteurs. Un blog fonctionne comme un petit média, mais avec une part de mystère permanente : qu’est-ce qui explique le retentissement de tel billet par rapport à tel autre ? Difficile de répondre. Il est certain, notamment, que les thématiques liées à la politique suscitent davantage de réactions que les autres.

Le blog comme interface de publication :

Je suis loin aujourd’hui de mon projet de publication initial. Pourtant le blog continue d’entretenir des liens étroits avec le projet de publier.

Déjà parce qu’il constitue une forme de publication en soi. J’y ai publié plusieurs textes conséquents qui n’ont pour l’instant pas d’autre forme que celle-là (par exemple La découverte d’un photographe ou encore l’étude Un nouveau lieu commun visuel).

J’ai bien conscience que cette formulation comporte une nuance de frustration. Comme si la publication se faisait, ou devait nécessairement se faire dans un cadre académique, celui d’une revue reconnue. Il y a des enjeux de carrière dans cette affaire, accrus par la pression toujours plus forte à publier d’une manière académiquement repérable, rentable.

A l’occasion, certains textes mis en ligne se situent à mi-chemin entre le billet et la publication. Ainsi des conclusions que j’ai présentées en clôture du colloque Photographier la ville contemporaine, à Nanterre en décembre 2011 : en l’absence prévisible d’actes de ce colloque, leur mise en ligne sur le blog a tenu lieu d’une publication qui ne se ferait sans doute pas. Car il ne faut pas négliger la part croissante que prend Internet pour suppléer les restrictions de publication aujourd’hui de plus en plus fortes en raison des impératifs d’économie.

D’une façon parfois inattendue, certains billets ont débouché sur des publications en bonne et due forme : articles de revues, chapitres de livres… De même, le blog me vaut des invitations dans des colloques, des séminaires, des réunions diverses. Car il donne une plus grande visibilité à mes travaux. Y compris dans le monde académique où Internet est devenu une interface consultée par tous.

Toutefois, la plupart de ces invitations se situent hors des cercles académiques, à la jonction avec les milieux ou les acteurs que j’étudie : enceintes artistiques, écoles d’architecture, d’arts décoratifs, photographes, etc. Générant parfois des écrits non académiques, comme dernièrement la préface pour le livre de David Desaleux. Ce blog m’intéresse particulièrement pour les relations qu’il initie de la sorte avec des interlocuteurs intéressés par les travaux des chercheurs, mais situés à l’extérieur du domaine académique. Il formalise une posture de l’entre-deux à laquelle je tiens.

Enfin, ce blog et la visibilité qu’il a acquise semblent pouvoir devenir un argument de poids dans la négociation avec des éditeurs en vue de la publication d’un livre. Il leur apporte la preuve chiffrée que le projet qui leur est présenté bénéficie d’un public, donc d’un lectorat potentiel. Est-ce suffisant ? Je n’en suis pas sûr, mais cela permet d’entamer la discussion avec des atouts reconnus.

Questions sur l’évolution des manières d’écrire dans les sciences sociales en lien avec l’essor des ressources multimédia :

Un blog peut-il être reconnu comme une publication scientifique ?

Aujourd’hui, les carnets de recherche se multiplient, des plate-formes comme hypotheses.org se créent pour les jeunes chercheurs, qui partagent cette culture de la communication via internet et de l’échange libre (open source). Cette production finira bien par entrer dans la gamme reconnue des activités de recherche.

Au delà se pose une question sur les formes d’écriture.

Un blog est un outil multimédia : il permet de combiner du texte avec des images, fixes ou animées ; mais également de ménager des liens avec d’autres ressources disponibles ailleurs sur la toile par le biais des liens hyper-texte.

J’ai participé en son temps aux débuts de la revue Actes de la recherche en sciences sociales qui, à sa façon, aspirait à cette combinaison de formes diverses. Les blogs ou les sites internet amplifient considérablement les possibilités en la matière. Tout article peut être assorti de documents d’enquête, renvoyer directement à d’autres textes… Ces possibilités sont évidemment intéressantes lorsque l’on travaille sur les images, mais également dans tous les autres domaines de la recherche en sociologie, permettant de mettre ses entretiens à disposition du lecteur, ses notes d’observation, ses documents, ses statistiques… J’y encourage mes étudiants de master, grâce à l’insertion d’un DVD de données à la fin de leur mémoire papier. Certaines revues en ligne comme ethnographiques.org permettent à présent de compléter les articles par des documents empiriques, à l’image de ce que font depuis longtemps les sciences de la nature.

L’enjeu est de susciter un débat non pas (seulement) sur les principes de l’analyse, mais sur ses matériaux. Il y a là un enjeu épistémologique, en même temps que formel : élaborer une autre manière d’écrire les sciences sociales et d’en discuter.

http://culturevisuelle.org/viesociale/3906

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