Martine Aubry a réussi son coup : son interview au site Mediapart, puis sa tribune dans Le Monde au sujet de la "société du 'care'" n'en finissent pas de provoquer le débat dans la classe politique.
Retour en arrière. Le 2 avril, Mediapart publie une longue interview de la première secrétaire du Parti socialiste (PS). Elle y détaille ses projets pour le PS et lance un appel "à une société du bien-être et du respect, qui prend soin de chacun et prépare l'avenir" et fustige "le matérialisme et le tout-avoir".
Cette "société du bien-être", du "soin" ou du "care" ("soin" en anglais) va devenir le socle de la réflexion de Martine Aubry. Le "care" est en fait une notion de philosophie anglo-saxonne (David Hume et Adam Smith notamment) qui se centre sur les interactions empathiques, sur le souci de l'autre. L'idée a été modernisée par le mouvement féministe américain des années 1960, devenant une forme de "moralité des femmes", une éthique particulière développée notamment par Carol Gilligan.
Le "care", une notion tirée du féminisme... et empruntée à Tony Blair
Cette figure du féminisme américain postulait une vision proprement féminine de l'éthique et des rapports sociaux, centrée autour de la notion de prendre soin des autres, qu'elle souhaitait enseigner à l'ensemble de la société et aux hommes. Ses travaux ont inspiré ceux de Joan Tronto, une autre universitaire américaine, qui a modernisé la notion dans Un monde vulnérable, pour une politique du care, paru en 1993. Martine Aubry s'inspire visiblement de cet ouvrage lorsqu'elle résume sa vision du "care" comme un "autre modèle de développement économique, social et durable, mais aussi un autre rapport des individus entre eux". (Lire "Martine Aubry cherche à redynamiser la pensée sociale progressiste".)
La première secrétaire du PS utilise cette grille de lecture, déjà employée par Anthony Giddens, l'un des stratèges de Tony Blair, dans une tribune consacrée aux retraites et publiée dans Le Monde du 14 avril. Elle y explique qu'il faut "aller vers une société du soin" : "aucune allocation ne remplace les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales, l'attention du voisinage, l'engagement de la société tout entière. A ce prix, la réhumanisation de notre société prendra tout son sens", estime Martine Aubry.
Cette vision n'est pas partagée par tout le monde. Le journaliste de RTL, Jean-Michel Aphatie, lui décerne ainsi un "prix de nunucherie", fustigeant avec violence un "galimatias de bons sentiments", un "record de banalités et de poncifs au cm²", et estimant que Martine Aubry "se noie dans ces considérations pseudo-philosophiques". Ailleurs, on note la proximité des idées de la première secrétaire avec les notions "d'ordre juste" ou de "fraternité" agitées par Ségolène Royal depuis sa campagne de 2007.
Manuel Valls et Nathalie Kosciusko-Morizet critiques
Et pourtant, le débat s'installe. L'UMP confie à la secrétaire d'Etat à l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, la tâche de répondre à Martine Aubry. Dans une tribune au Monde, "NKM" fustige "le triomphe des bons sentiments". "Rien de nouveau sous le soleil, sinon le retour à un discours de l'assistanat social et des bons sentiments, dont je doute qu'il rende justice aux femmes", écrit la secrétaire d'Etat, qui juge le concept dépassé car "il enferme les femmes et la réflexion politique dans la seule considération de la souffrance sociale".
A gauche aussi, on doute du concept de Martine Aubry. Dans une autre tribune, toujours au Monde, Manuel Valls dénonce une "erreur profonde" et "un recul pour la gauche". Selon le député-maire d'Evry, qui veut incarner l'aile droite du PS, "l'individu n'est ni malade ni en demande de soins", mais demande au contraire "à pouvoir agir en toute liberté". Pour lui, cette "vieille idée des années 1980 (...) n'est en rien adaptée à la société française d'aujourd'hui". Et si la gauche gagnait avec cette philosophie, poursuit-il, elle risquerait de générer des attentes énormes et "une nouvelle bombe à retardement de la déception".
Critiquée, l'idée de Martine Aubry a néanmoins fait réfléchir certains. A commencer, peut-être, par... Nicolas Sarkozy. Selon plusieurs députés reçus mardi 11 mai à l'Elysée, Nicolas Sarkozy aurait expliqué que s'il se représentait, il changerait de stratégie : "Après un quinquennat de réformes, les Français aspireront à un président protecteur", aurait-il lancé. De l'acte de protéger à celui de soigner, il n'y a qu'un pas...
http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/05/14/la-societe-du-care-de-martine-aubry-fait-debat_1351784_823448.html
J'y reviendrai...
P.s: A noter que je parlais du care chez Jorion début 2010.
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