[...] C'est en fixant leurs yeux sur l'idée de la France, de l'Allemagne. de l'Italie, que les Français, les Allemands, les Italiens ont fait - ou refait - leur nation. Il en sera de même de l'Europe. Dans le passé, les rivalités politiques des États - ou des provinces - ont dégénéré en haines essentielles dont on voit encore les séquelles. Il en fut de même des rivalités religieuses. Pour faire l'Europe il faudra abolir l'"ortie des caractéristiques nationales" comme a été abolie - ou atténuée - l'ortie des caractéristiques régionales. Il faudra accepter les différences au lieu de les exalter. Il faudra enseigner l'unité. Les passions nationales ne seront vaincues que par d'autres passions qui pourraient être la passion de la paix, de la justice, de la fraternité, la passion de la raison. "L'Europe est une idée" et l'idée de l'Europe doit dominer les idées nationales. La création de l'Europe implique une modulation des valeurs qui ont fondé les nations.
Il est nécessaire de définir clairement les conditions du succès, d'instruire les peuples, de les convaincre que l'on peut conserver du national ce qui est indispensable sans pour cela compromettre l'unification. Pour l'auteur de La Trahison des clercs, le problème européen est avant tout UN PROBLÈME MORAL (je souligne): l'Europe ne se fera "que si elle adopte un certain SYSTÈME DE VALEURS MORALES (je souligne là aussi)...". "L'action morale doit être transcendante aux phénomènes économiques, encore que sollicitée par eux." Il s'agit d'"opposer au pragmatisme nationaliste un autre pragmatisme, à des idoles d'autres idoles, à des mythes d'autres mythes, à une mystique une autre mystique...". "L'Europe est une idée " et sera un acte de foi. Elle n'aura de portée morale que si "loin d'être une fin à elle-même, elle n'est qu'un moment de notre retour en Dieu, où doivent sombrer tous les distincts, avec tous les orgueils et tous les égoïsmes...". Le lecteur s'étonnera peut-être de voir le rationaliste impénitent exprimer une foi quasi religieuse. Il s'agit en fait d'une foi en une vérité transcendante. L'auteur de La Trahison des clercs continuait à prêcher le culte des valeurs universelles: raison, vérité et justice. Les divisions, les désunions de l'Europe ont été source d'assez de tragédies. La civilisation, la culture européennes - quintessence des cultures nationales - ont été près de sombrer et restent menacées. [...]
Avant-propos de André Lwoff dans "Discours à la nation européenne" de Julien Benda.
A suivre...
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