dinsdag 25 juni 2013

Ce sujet m'intéresse aussi... Qui fait quoi là aussi?... La relation homme-femme... Que disent les femmes, messieurs?...

Connaissez-vous James Wolfensohn? Ancien président de la Banque mondiale, cet homme aime passer l'été dans sa ferme du Wyoming et finance de sa poche la chaire John Wolfenshon de sciences sociales à l'Institut des Etudes avancées de Princeton. Un poste très chic, où l'on est nommé à vie, sans obligation de publication ou d'enseignement, sinon de participer aux soirées avec les mécènes. Depuis deux ans, le titulaire de la chaire est Didier Fassin, anthropologue et sociologue français qui vient de publier une retentissante ethnographie des brigades anti-criminalité, la police des banlieues. Une double reconnaissance pour le petit-fils d'immigré italien, grandi en HLM à Viry-Châtillon et frère d'Eric.

Connaissez-vous Dominique Strauss-Kahn? Le FMI est l'autre grande institution financière de Washington, mais c'est à un titre différent qu'Eric Fassin s'est intéressé à lui. En mai, au lendemain de l'arrestation du dirigeant français au Sofitel de New York, il signe dans «Libération» une tribune titrée: «La fin de l'exception sexuelle». Lui aussi est sociologue et, nourri des gender studies américaines, il s'emploie depuis une dizaine d'années à faire entendre l'idée que les questions sexuelles sont des questions politiques. Le pacs, le débat sur le voile, les affaires Polanski et Mitterrand, la chute de DSK ont peu à peu validé son hypothèse. Professeur à Normale-Sup, figure familière des débats sur les discriminations, Eric Fassin est fils d'un père électricien et d'une mère dactylo, et frère de Didier.


DIDIER FASSIN, né en 1955, a été chef de clinique des Hôpitaux de Paris avant de bifurquer vers l'anthropologie. Depuis deux ans, il enseigne à Princeton. Spécialiste des questions de santé publique, il est coauteur de «l'Empire du traumatisme» et a publié «la Raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent». (Baltel-Sipa)

Didier et Eric Fassin, quatre années d'écart, symbolisent le retour de la sociologie dans la vie publique. Depuis ses origines, la sociologie entretient des relations tumultueuses avec ce qui est à la fois l'objet et le destinataire de son savoir: le corps social. Pierre Bourdieu l'avait définie comme «un sport de combat». C'était dans sa dernière période, «la moins intéressante, car trop portée sur la dénonciation», dit Didier. Dans les années 1980, au temps où Eric était à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS), le même Bourdieu en faisait au contraire une science «apolitique, voire antipolitique». Aujourd'hui, la sociologie serait plutôt une façon de jeter le trouble, de révéler les normes en les perturbant, de faire que «ce qui nous paraît évident cesse de l'être».

Semer le doute, Didier Fassin l'a fait en s'attaquant, à douze mois d'intervalle, à deux sujets a priori très éloignés: l'humanitaire et la police. Dans «la Raison humanitaire», il étudie les «évidences morales» des ONG: en sacralisant «la vie biologique», l'humanitaire oublie que c'est par «la vie politique» et même «la vie biographique» que chacun peut donner un sens à son existence. «La Force de l'ordre» déjoue le mythe des cow-boys de banlieue, décrit les nuits d'ennui et observe la tentation de se jeter sur le moindre passant. La fonction de la BAC n'est pas le maintien de l'ordre public, mais «le rappel à l'ordre social».

Troubler l'évidence sexuelle était aussi le but d'Eric Fassin lorsqu'il a publié en 2009 «le Sexe politique», qui retrace la grande controverse franco-américaine des années 1990. Alors qu'une série d'affaires sexuelles secoue les Etats-Unis, les intellectuelles françaises s'exclamèrent: pas de ça chez nous, non au «sexuellement correct»! Eric Fassin met au jour les présupposés «culturalistes» de cette réaction: l'Amérique serait par essence puritaine, et la France galante de toute éternité. Or ce que montrent les gender studies, c'est que le fait sexuel n'est ni le 15 novembre naturel ni culturel, mais politique, articulé à l'ensemble de la société et donc toujours discutable. «Le sexe fonctionne comme un langage pour penser la société américaine», les scandales sont «un théâtre sexuel qui ne s'arrête pas au genre et à la sexualité».

Pourquoi deux frères ? Pourquoi ces deux-là ? Pourquoi leur hypersensibilité aux normes implicites? Est-ce parce qu'à Viry-Châtillon ils durent apprendre à déchiffrer les codes, se guider dans le monde des signes sociaux? Promu ingénieur, le père finit par installer sa famille en pavillon, mais il n'y a pas de livres à la maison. Bons élèves, les deux frangins dévorent tout seuls les classiques. Ils lisent aussi «Pilote» et, désinhibés par les parodies de Gotlib, se lancent dans l'écriture d'une tragédie en alexandrins, à la Hugo, abandonnée après 800 vers. Didier est à l'initiative - il en a gardé un goût pour l'écriture travaillée. Eric suit, renvoie la balle - encore aujourd'hui, il pratique le pastiche et glisse des jeux de mots pornos et invisibles dans ses textes.

«C'était une banlieue sans racine, sans sentiment communautaire, sans culte des origines. L'avenir était ouvert, on pouvait commencer dans un petit espace et finir dans un grand.» Ni rancune sociale ni convoitise: juste des jeunes pousses qui trouvent un bout de terrain. «Le modèle de la IIIe République dominait encore, avec le poids des héritiers, mais aussi une certaine ouverture. Ca s'est durci depuis.»


ERIC FASSIN est né en 1959. Professeur à Normale-Sup, il a préfacé la traduction française de «Trouble dans le genre», de Judith Butler. Après « l'Inversion de la question homosexuelle» et «Sexe et politique», il va publier en février «Démocratie précaire. Critique de la déraison d'Etat». Il participe également au site Cette France-là, regroupement de chercheurs engagés contre Nicolas Sarkozy. (Ibo-Sipa)

Lycée, classes prépas. Didier choisit médecine, «à cause de la guerre au Bangladesh»: «J'ai aimé les relations avec les patients, mais la dimension intellectuelle m'a paru trop limitée.» Eric fait un «choix de cadet» et entre rue d'Ulm. La transmission s'inverse: le plus jeune fait lire Foucault et Bourdieu à son aîné. «Il découvrait des auteurs, me les faisait lire, on travaillait ensemble dans sa chambre à Normale, c'était mes moments de respiration. Je n'aurais peut-être pas fait de sciences sociales sans lui.» Le hasard voudra qu'en 1985, médecin de garde dans un hôpital parisien, il sera appelé au chevet de Foucault deux semaines avant sa mort. Il en fait le récit dans le «Cahier de l'Herne» consacré au philosophe.

Adolescent, Eric allait travailler pendant l'été à l'aéroport d'Orly, en voisin, à vélo. Signe du destin? Grâce à une organisation américaine, les deux frères ont chacun passé leur année d'après-bac de l'autre côté de l'Atlantique. Un coup de pouce précieux. Plus tard, Eric y vivra sept ans, notamment à la New York University, devenant l'un des introducteurs de Judith Butler en France. Après avoir exercé comme médecin au Pérou, enquêté comme anthropologue au Sénégal et en Afrique du Sud, Didier vit désormais à Princeton. Les petits banlieusards ont démenti le provincialisme imputé aux sciences humaines françaises.

La question des races sera le point de leurs retrouvailles. En 2004, ils créent à l'EHESS un séminaire commun intitulé: «De la question sociale à la question raciale?» On jase dans les couloirs: dans la France républicaine, peut-on parler de race? Eric: «Il ne s'agit pas d'étudier la race comme un fait naturel ou comme une culture, mais comme une situation minoritaire résultant d'une domination majoritaire. Nommer le minoritaire, c'est nommer le majoritaire. Dire qu'il y a des Noirs en France, c'est dire par exemple que, dans le monde universitaire, tout le monde est blanc. Alors, ce qui était une évidence se révèle comme le fruit d'une histoire politique déterminée.»

Un an plus tard éclatent les émeutes des banlieues. Eric encore : «Nous, on a grandi dans la banlieue. Les jeunes, les cités, les quartiers... Quand je suis rentré des Etats-Unis, en 1995, j'ai été frappé par ce pluriel omniprésent.» Ils en ont fait un livre ensemble, puis chacun a continué dans sa voie. Didier aime les enquêtes de terrain et vient de commencer une série d'observations dans une prison; Eric préfère l'analyse des déclarations politiques et prises de positions intellectuelles. Deux façons de lever des lièvres, d'arracher aux normes leur masque de banalité.

Et de faire de la politique ? Ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits. «En 68, je confondais gauchiste et gaulliste», se souvient Eric. L'engagement est venu tardivement, mais toujours au titre de leur savoir critique, sous forme d'articles dans la presse, parfois de pétitions, de quelques exposés à la demande des partis de gauche. Par sens de leurs responsabilités, par fidélité à leur passé.

Eric: «Il y a un aveuglement aux questions de classe chez les universitaires. En enterrant le marxisme, les gens estiment avoir réglé la question du pouvoir et disent: ne venez pas nous embêter à nouveau avec ça. La race et le sexe servent de révélateurs. La morgue de classe, c'est la même que la morgue de race ou la morgue de sexe.»

Didier: «La vie biologique est l'idéologie de notre temps et il y a une dialectique très forte entre raison humanitaire et raison sécuritaire. Ca ne m'intéresse pas de dénoncer la police ou les bons sentiments. Je voudrais plutôt rendre visible le lien entre les deux. Montrer par exemple comment la compassion, en masquant les inégalités, va à l'encontre de ce qu'elle cherche.»

Ayant accédé à la notoriété sur le même terrain, Eric et Didier sont parfois pris l'un pour l'autre. Ils reçoivent des compliments destinés à l'autre, ça les fait rire, ils jouent volontiers aux Dupont et Dupond, «je dirais même plus». L'ironie de Viry-Châtillon est intacte. A ce propos, renseignement pris, leur tragédie inachevée racontait l'histoire d'un doge de Venise, Marino Faliero, dont le portrait dans la grande salle du Palazzo Ducale est couvert d'un drap, parce qu'on l'avait accusé de complot contre la cité.

Bien avant les chefs du FMI et de la Banque mondiale, la figure du pouvoir était déjà là. Non comme puissance diabolique, mais comme réalité ambiguë, réversible, exposée autant que cachée. Eric: «Le pouvoir est une action sur l'action d'autrui. Dans le sexe, on veut séduire, en politique, on voudra convaincre. Le pouvoir nous traverse tous, nous fait vivre, nous fait désirer.»

Eric Aeschimann


La Force de l'ordre, par Didier Fassin,
Seuil, 392 p., 21 euros.

Démocratie précaire, par Eric Fassin,
La Découverte (à paraître le 23 février).

Source: "le Nouvel Observateur" du 1er décembre 2011.

http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20111201.OBS5765/mais-qui-sont-didier-et-eric-fassin.html

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