L’idée européenne ne date pas d’hier !
Aux origines du sentiment d’appartenance européenne
jeudi 30 mai 2013, par Alexandre Marin
Dans l’esprit d’un grand nombre d’Européens, l’idée d’union politique européenne est arrivée après la seconde guerre mondiale, à travers le discours de Robert Schumann. Certains connaissent surement les idéaux de personnages importants, à l’instar de Victor Hugo, en faveur d’une nation européenne. Aussi pense-t-on qu’elle se limite au résultat de l’union, en 1951, des pays du continent européen, et ce, souvent malgré leur histoire nationale. Or, la notion d’Europe est l’une des idées politiques les plus anciennes du vieux continent. C’est l’épopée de cette aspiration que le présent article propose de retracer.
Apparition du Graal
Auteurs
Alexandre Marin
Etudiant en droit français et espagnol à l’Université Complutense de Madrid et à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Mots-clés
Histoire
Quand on songe aux « racines de l’Europe », ce qui nous vient naturellement à l’esprit, c’est, entre autres, les civilisations grecques et romaines, ainsi que le christianisme. Jusqu’aux années 1960, les manuels scolaires situent la formation des nations européennes dans les années qui suivent la chute de l’Empire romain d’occident. Ainsi, l’acte fondateur de la nation française serait le baptême de Clovis, entre 496 et 500 après J.C. Or, le déclin, puis la chute de cet empire, que l’on situe en 476, entretient la nostalgie de l’abondance, du commerce et de la paix, surtout chez les religieux, principales victimes de l’insécurité et des guerres, qui deviennent la règle dans les ruines de l’ancien territoire impérial.
Dans les années 530, l’empereur byzantin Justinien joue sur ce regret du passé pour entreprendre la conquête d’une partie de l’occident latin. Hélas, le comportement des Augustes orientaux successifs fait comprendre aux populations, surtout à Rome, qu’elles ont obtenu une relative stabilité au prix d’une liberté dont l’absence devient pesante. Cependant, bien que les Byzantins s’efforcent d’imposer à Rome une autorité totale dans les affaires spirituelles, la distance qui sépare la cité de Romulus de Constantinople et l’affaiblissement de l’empire d’orient conduisent le pape Léon III à couronner Charlemagne le 4 décembre 800. Il prend comme prétexte, la montée sur le trône impérial d’une femme, Irène l’Athénienne qui organise un coup d’état en mutilant son propre fils, Constantin VII.
Splendeur et déclin de la théorie impériale.
La naissance de l’empire carolingien fait apparaître l’une des clés de voute de la pensée politique médiévale : l’union des Latins et des Germains sous l’égide d’une religion commune (le christianisme romain), d’une langue commune (le Latin), d’un dirigeant temporel (l’empereur), et d’un chef spirituel (le pape). Remarquons la surprenante actualité de cette pensée qui tente de palier les fractures existantes entre ce qui serait aujourd’hui le nord et le sud de l’Europe. Le but de cette union appelée « Europe » est d’unir les chrétiens d’occident contre la menace venue de l’Ibérie islamique, mais surtout d’assurer la paix à l’intérieur de l’Empire. C’est de cette théorie impériale de l’Europe que les Carolingiens, et, après eux, le Saint Empire Romain, tireront leur légitimité.
Cette Europe politique ne survit que très partiellement à la mort du fils et successeur de Charlemagne, Louis le Pieux, en 840. En effet, sur le plan politique, le partage de l’empire entre les fils de l’empereur, les raids sarrasins, vikings, et hongrois, ajoutés aux révoltes des grandes familles aristocratiques et de certains peuples intégrés à l’Empire menacent sérieusement le pouvoir impérial. Sur le plan idéologique, la théorie impériale se trouve en concurrence féroce avec la théorie féodale. La première part du principe que tous les hommes sont égaux devant Dieu, et que l’accès aux charges impériales, religieuses ou militaires est réservée à ceux qui ont démontrer leurs capacités à les assumer de manière efficace. En second lieu, l’empereur comme le pape gouvernent des hommes. L’empereur gouverne les corps, et le souverain pontife commande les âmes. La théorie féodale a une structure beaucoup plus inégalitaire ; elle se présente comme une pyramide, selon une organisation hiérarchique complexe. Le roi est au sommet, en bas, on trouve les serfs.
Cette théorie s’appuie sur le gouvernement de la terre, contrairement à sa rivale, et se structure autour de droits héréditaires. La confrontation des deux théories nuit considérablement, non seulement aux Carolingiens, mais aussi aux dynasties germaniques à la tête du Saint Empire, dont les membres sont à la fois rois et empereurs. Le conflit entre l’empereur et le pape, au cours des XI et XII° siècles, qualifiée de querelle des investitures par les historiens, blesse cette unité, et nourrit la réforme luthérienne qui lui porte son coup de grâce, en attaquant la colonne vertébrale de cette unité : la religion commune. De là vient la nécessité de trouver un autre facteur de paix et d’unité, et c’est ainsi que Kant propose une union d’Etats.
L’Europe dans la pensée médiévale : les leçons qu’elle nous transmet.
Cette conception impériale de l’unité européenne nous a néanmoins doté d’un héritage considérable. Sa chute ne fut qu’un souffle sur les aigrettes d’un pissenlit qui s’en vont renaître et germer de nouveaux enseignements qui parlent plus que jamais à notre époque. Le premier idéal à resurgir est celui pour la paix, à travers la Paix de Dieu, mouvement spirituel organisé par l’Eglise, aux X° et XI° siècles pour maitriser l’usage de la violence dans la société postcarolingienne. Les religieux se réunissent lors d’ « assemblées de paix » ayant pour objet la protection des biens du clergé, la protection des « pauvres », c’est à dire, au Moyen-Âge ceux qui ne peuvent pas se défendre (clercs, et dans une moindre mesure paysans), et la stabilisation monétaire.
Malgré la portée fort limitée de la Paix de Dieu, et ses très nombreuses exceptions, le clergé se munit de moyens d’action, comme le recours à l’autorité judiciaire comtale ou royale, ou les sanctions spirituelles (malédictions, excommunications, etc.…) . En 1027, les Clunisiens lancent la Trêve de Dieu, qui interdit les combats le dimanche. L’évolution du mouvement conduit aux Croisades, qui, quoi qu’on en dise, malgré leurs revers, leurs dérives et leurs exactions, sont une des plus grandes manifestations paneuropéennes, pèlerinages armés pour guerroyer à l’extérieur et assurer la paix au sein de l’Occident médiéval, qui, malgré tout, connaît une prospérité longue de deux siècles. Outre le foisonnement de la musique de la poésie, et des arts visuels, cette période voit la résurrection du droit romain qui donne lieu à un nouvel ordonnancement juridique : le ius commune (droit commun).
Ce nouveau droit s’impose rapidement à toute l’Europe continentale et contribue à la multiplication des voyages et à l’essor du commerce. Cependant, au XIV° siècle, la lutte du Sacerdoce et de l’Empire devient vite source importante de conflits et de désordre. Au milieu de ces tensions, se crée pour la première fois, en 1332 le concept de droit fondamental, né de la nécessité des protagonistes de prouver la primauté de leur pouvoir sur ceux de leurs adversaires. A cet effet, l’empereur germanique Louis IV s’entoure de juristes et de théoriciens indépendants des Etats Pontificaux, parmi lesquels Guillaume D’Ockham, père du concept. D’abord élaboré autour du droit à la propriété et caractérisé par son invulnérabilité face au pouvoir politique, le Droit Fondamental s‘approfondit, multiplie son champ d’action à travers de nombreux voyages auxquels il doit sa renommée interterritoriale.
Enfin, il faut rendre un hommage à la symbolique de la Table Ronde. Des chevaliers assis autour d’une table de manière égale quelle que soit leur richesse ou leur rang, pour s’unir et parler de leurs problèmes communs, avec un roi qui tranche les litiges et prend les décisions collectives à la fin des discussions. Ce qui les rassemble plus que tout, c’est leur volonté ferme et déterminée d’agir ensemble à la recherche du Graal, symbole de leur union. Si seulement les chefs d’Etats actuels pouvaient parvenir à siéger autour d’une table ronde de manière égale, quelle que soit l’influence ou la puissance de leurs pays respectifs. S’ils se soumettaient, au terme de leurs négociations, aux résolutions d’un président de la Commission qui aurait le dernier mot. S’ils se fixaient des objectifs en tant qu’Européens et si, main dans la main, ils partaient eux aussi pour la quête du graal.
Quel bel exemple ils nous donneraient !
http://www.taurillon.org/L-idee-europeenne-ne-date-pas-d-hier,05783
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