vrijdag 23 november 2012

Les intellectuels...

" Tolstoï raconte qu'étant officier, il vit, lorsd'une marche, un de ses collègues frapper un homme qui s' écartaitdu rang . Il lui dit : n'avaez-vous pas honte de traiter ainsi un de vos semblables ? Vous n'avez donc pas lu l'Evangile ? A quoi l'autre répond : Vous n'avaez donc pas lu les règlements militaires ? Cette réponse est celle que s'attirera toujours le spirituel qui veut régir le temporel ... Ceux qui conduisent les hommes à la conquête des choses n'ont que faire de la Justice et de la Charité ... La plupart des moralistes écoutés depuis cinquante ans en Europe, et singulièrement, les gens de lettres, en France, invitent les hommes à se moquer de l'Evangile et à lire les règlements militaires ." ( Julien Benda . 1927 . La trahison des clercs . )
( Illustration : " Ascension vers l'Empyrée " de Jérôme Bosch . glob.bargeo.fr ) .


Sans-titre.png

Le manifeste des Intellectuels du 4 juillet 1973, publié par Le Monde, signa l'enterrement de ces derniers quant à leur mission première d'être " la mauvaise conscience du monde, laïque et pratique, le garant ou le témoin de la civilisation ", avait dit Benda , on pourrait ajouter, la conscience collective de la société .
On lisait , dans ce manifeste, ceci : " Aucun pays, aucun régime, aucun groupe social n'est porteur de la vérité, de la justice, et sans doute aucun ne le sera jamais . La terrifiante expérience du stalinisme, la transformation d'intellectuels révolutionnaires en apologistes du crime et du mensonge, montrent jusqu'où peuvent conduire les identifications utopiques et l'attrait du pouvoir, ces tentations caractéristiques de l'intellectuel contemporain ." Curieusement, le nazisme est absent de cette péremptoire condamnation .
Le manifeste invitait donc les intellectuels à s'éloigner de la politique, par une attitude " raisonnable ", pour se hisser à la hauteur de " l'empyrée des idées pures ", et en fait les précipitait dans leur tombeau , à l'image du Caïn de V. Hugo .
Car cette prise de position ne manque pas de soulever une question essentielle .
" Dans les démocraties libérales qui se sentent menacées, réduites à la défensive, les intellectuels ont-ils le droit de renoncer à être des agents du changement, des ingénieurs de l'avenir social, des créateurs d'utopie minimale ? Sont-ils condamnés à se tenir aux remparts, gardiens d'une civilisation, de la démocratie, du pluralisme, de la tolérance, en voie d'épuisement ? " ( Michel Winock . Le siècle des intellectuels ) .
Pourtant Emmanuel Mounier avait répondu, par anticipation, en 1950, à ce manifeste, dans son livre " Le Personnalisme ", en affirmant que qui ne s'engage pas positivement, prend parti, en le voulant ou non, pour les injustices . " L'Absolu n'est pas de ce monde et n'est pas commensurable à ce monde . Nous ne nous engageons jamais que pour des causes imparfaites, des combats discutables . Refuser pour autant l'engagement, c'est refuser la condition humaine ", écrivait-il .
Pourtant, qui peut ignorer, aujourd'hui, que le pouvoir temporel, livré à la seule logique de ses intérêts propres, risque de perdre de vue tout fondement éthique de la société politique ?
Comme ils sont admirables ces vieillards infatigables - Edgar Morin et Stéphane Hessel - qui osent crier encore, au suicide de la civilisation, dans le tumulte des rentrées littéraires et l'apologie des égoïsmes assassins !
Trouverait-on, aujourd'hui, des pourfendeurs du colonialisme, de la torture, des Dreyfusards ?

Certes, " l'univers politique est chargé de tous les conflits, de toutes les volontés de puissance, de toutes les haines, et des appétits de pouvoir " . Certes, on peut se poser la question de savoir si " l'homme de pensée " y a toute sa place .
Mais, la peur d'être pris pour " un auxiliaire de police, un fonctionnaire des espérances en suspens, ou un gestionnaire zélé du pouvoir " ne peut conduire qu'à l'isolement et à l'inutilité dans la marche du monde .
Bien sûr, il peut y avoir pire : se choisir, soi ; succomber à la fascination de la télévision, comme le dénonçait P. Bourdieu, choisir sa promotion personnelle, devenir le " dernier avatar de la corporation " : l'intellectuel médiatique .
A l'heure où le grand dépeçage de l'Europe et de la civilisation a commencé - précautionneusement - plus de bruits de trompettes, plus de roulement de tambours - mais la dette, des budgets de rigueur, l'austérité, la fin des programmes sociaux, une Europe du Nord et une Europe du Sud, la compétitivité déloyale, la spéculation financière et sur les matières premières, où sont les intellectuels ?
Avant qu'on ne les assimile à des " milices spirituelles du temporel " , ( Michel Winock ), qu'ils sortent de leurs laboratoires et de leurs cabinets, et rappellent que la Loi n'est pas le Droit, que la Loi de quelques-uns ne saurait être la Loi de tous , et qu'ils ont une mission, comme le disait l'historien P. Nora, déjà en 1980 : " enlever au présent ses faux mystères et son artificielle magie " . ( Que peuvent les intellectuels ? Le Débat ) .


NB : d'aprés le livre de Michel Winock : Le siècle des Intellectuels . Seuil .1997 .

http://www.regain2012.com/article-les-milices-spirituelles-du-temporel-1-110180211.html

Geen opmerkingen:

Een reactie posten