zaterdag 10 november 2012

Nous parlons de certaines choses...



http://www.internetactu.net/2012/10/29/lidentite-perdue/

L’identité perdue ?


Par le 29/10/12 | 6 commentaires | 952 lectures | Impression
La lecture de la semaine nous vient de la presse hispanophone. Il s’agit d’une tribune du Prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa (Wikipédia), tribune publiée dans le quotidien espagnol El Pais et s’intitule, “l’identité perdue”. Deux précisions :
Dans sa tribune, Vargas Llosa commence par quelques anecdotes récentes. L’une concerne Philip Roth dont on sait, l’histoire a été suffisamment relayée, qu’il a demandé à Wikipédia de modifier une information qui apparaissait sur sa page, et qui n’était pas exacte. Requête à laquelle Wikipédia a répondu que la parole de l’auteur était une source non suffisante à la modification de cette information.
Vargas Llosa raconte ensuite deux épisodes le concernant lui. Il s’agit dans les deux cas de textes diffusés via Internet, deux textes signés de lui et qu’il n’a pas écrits, un Eloge de la femme, manifestement assez nul et un critique violente de l’Argentine, rassemblant des propos épars et sortis de leur contexte. Vargas Losa raconte avoir consulté un avocat qui lui a expliqué que la question du droit d’auteur et du copyright était extrêmement compliquée sur Internet, qu’il serait difficile de trouver les personnes à l’origine de ces textes, et qu’il fallait donc mieux oublier tout ça.

Image : Mario Vargas Llosa à Pietrasanta, Toscane, photographié par Daniele Devoti pour Wikimedia Commons en juin 2010.
Vargas Llosa dit voir là autre chose qu’une anecdote. Je cite :
“La révolution technologique audiovisuelle, qui a favorisé les communications comme jamais dans l’Histoire, et qui a doté la société moderne d’instruments qui lui permettent de contourner tous les systèmes de censure, a eu aussi comme effet pervers et inattendu de mettre entre les mains de la canaille intellectuelle et politique, des gens pleins de ressentiment, d’envie, de complexes, dans la main des imbéciles et des abrutis, une arme qui leur permet de violer et de manipuler ce qui jusqu’à aujourd’hui apparaissait comme le dernier sanctuaire de l’individu : son identité.
Aujourd’hui, il est techniquement possible de dénaturer la vie d’une personne – ce qu’elle est, comme elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle dit, ce qu’elle pense, ce qu’elle écrit – et l’altérer subtilement petit à petit au point de la dénaturer en totalité, et de provoquer en elle des dommages irréparables. Le pire est sans doute que ces opérations délictueuses ne résultent même pas d’une conspiration politique, économique ou culturelle mais, plus vulgairement, de pauvres diables qui, de cette manière, essaient de combattre l’ennui et la pauvreté terrible de leurs vies. Il faut bien qu’ils s’amusent d’une manière ou d’une autre ? Et n’est-ce pas un sport courant et amusant d’avilir, de ridiculiser ou de mettre dans une situation délicate autrui, surtout si, en plus, cela peut être perpétré dans l’impunité la plus absolue ?
Par conséquent, les efforts valeureux qu’un Philip Roth fait en défense de son identité d’écrivain et de citoyen pour qu’on lui permette d’être ce qu’il est, et non pas une caricature de lui-même, bien qu’admirables, sont sans doute totalement inutiles. Nous vivons une époque où ce que nous croyions être le dernier refuge de la liberté, de l’identité, c’est-à-dire ce que nous sommes devenus au moyen de nos actions, de nos décisions, de nos croyances, ce qui cristallise notre trajectoire de vie, ne nous appartient plus, ou alors de manière provisoire et fragile. De même que la liberté politique et culturelle, notre identité peut aujourd’hui nous être arrachée, mais par des tyrans invisibles qui, en lieu de fouets, d’épées et de canons utilisent des claviers et des écrans et de servent de l’éther, d’un fluide immatériel et subreptice, si subtile et si puissant qu’il peut envahir notre intimité la plus secrète et la recomposer à sa guise.
Au long de son histoire, l’être humain a dû affronter toute sorte d’ennemis de la liberté et, au prix de grands sacrifices et d’innombrables victimes abandonnées sur le champ de bataille, il a réussi à les mettre en déroute. Et je crois qu’à la longue nous mettrons en déroute celui-là aussi. Mais cette victoire, je crains fort qu’elle soit longue à obtenir et que ni Philip Roth ni moi ne puissions la célébrer.”
Deux remarques :
  • Tous les droits de ce texte, et dans toutes les langues sont réservés à El Pais (c’est mentionné en bas du texte). Mais j’estime qu’en le traduisant qu’en longueur, du mieux que je peux, et en signifiant bien qu’il est l’œuvre de Mario Vargas Llosa, je contreviens peut-être au droit d’auteur mais ne viole en rien l’identité de l’auteur, en tout cas beaucoup moins que si j’en sortais quelques phrases pour m’en moquer. Mais c’est là un paradoxe auquel les tenants strictes du copyright sont assez peu sensibles.
  • Ensuite, si je prends 5 minutes pour relayer les propos de Vargas Llosa, c’est moins pour le fond de l’argumentation, que l’on pourrait démonter en trois coups de cuillères à pot, que pour montrer que la critique jolie mais premier degré d’Internet n’est pas une spécificité des intellectuels français. Et derrière les propos de Vargas Llosa, ce qu’on sent poindre, c’est une angoisse, comme souvent.
Xavier de la Porte
“Xavier de la Porte (@xporte), producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.

L’émission du 27 octobre 2012 posait la question : qui a inventé l’internet ? Et pour y répondre étaient invités Valérie Schafer, historienne des télécommunications et de l’informatique, chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS. Le premier volume de sa thèse est paru il y a quelques mois : La France en réseau, aux éditions Nuvis. Benjamin G. Thierry (@BGthierry), enseigne l’histoire des techniques et des médias à l’université Paris-Sorbonne et à l’IUFM de l’académie de Paris. Il a récemment publié (avec Valérie Schafer) Le Minitel. L’enfance numérique de la France (2012) et “Révolution 0.1 : utilisateurs et communautés d’utilisateurs au premier âge de l’informatique personnelle et des réseaux grand public (1978-1990)” in Le temps des médias n°18 (2012). Laurent Chemla (Wikipedia), historique de l’Internet français, fondateur de l’herbergeur internet Gandi et auteur en 2002 de Confessions d’un voleur : Internet, la liberté confisquée, librement consultable en ligne.

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